Nous marchons d’un pas méditatif le long de la promenade au bord de la rivière des parfums, en direction de notre hôtel, le Century Riverside qui donne sur la rivière dans sa partie nord, face au parc Trinh Công Son sur l’autre rive. Il est 17h passé. Françoise, Aurélien et Dat sont plus loin, devant moi. Personne n’a trop envie de parler. Chacun est plongé dans ses pensées vagabondes après cette longue journée, la dernière d’une série de sessions de formations pour le personnel pédiatrique de l’Hôpital Central de Huê.
Je me concentre sur ma respiration à chaque pas pour profiter de ce moment délicieux, tout en surveillant les lumières du crépuscule tropical qui jouent avec leur reflet à la surface de la rivière apaisée.
Nous nous sentons apaisés autant que la rivière. Il est vrai que le typhon a soufflé pendant une semaine avec son lot de pluies ininterrompues, avec ses bourrasques sans pitié pour les frêles palmiers du trottoir. La rivière était vidée de bateaux, le paysage était uniformément gris, la terre, l’eau, le ciel, pour ne laisser deviner au loin, vers l’ouest, que l’ombre des montagnes fantomatiques dont les cimes semblent avalées par d’épais nuages noirs. Une semaine, le temps que nous finissions les sessions de formation en simulation pour la prise en charge des nouveau-nés pour 2 groupes de sages-femmes, infirmières, pédiatres, obstétriciens.
C’était la dernière séance cet après-midi, et le ciel s’est enfin débarrassé des stratocumulus, laissant la scène à un soleil radieux de fin de journée sur la ville. Huế, si délicate, si poétique.
Je savoure cette ambiance délicieuse, cette atmosphère raffinée. Je remarque entre le feuillage dansant des branches de saules, un léger brouillard sur l’eau, puis au loin, les sampans et les montagnes.
Je repense à la première soirée, quand nous avons voulu à tout prix monter sur ce sampan pour écouter de la musique traditionnelle, celle qu’on ne jouait qu’à la cour de l’Empereur à l’époque. Le vent et la pluie étaient tellement violents que le bateau a dû rester au ponton, mais les artistes ont pu jouer.
J’entends encore la mélodie plaintive du monocorde harmonique, soutenue par les notes cristallines de la cithare, caressées du bout des doigts gracieux de la fille en tunique violette, couleur de Huế. Ses jambes étaient sagement croisées sous la soie flottante.
Ou encore ce rythme discret mais envoûtant des 4 tasses au bout des doigts d’une autre musicienne debout, claquant en contre temps pour laisser les temps dominants aux 2 petits bouts de bambou verni, qui sursautent entre chaque mouvement de bras de la voisine. Les cheveux noirs de celle-ci étaient élégamment enveloppés dans une coiffe en tissu brillant doré, enroulé comme un petit nid douillet au-dessus de son visage illuminé d’un sourire mystérieux. Ses yeux pétillants semblent poser mille questions à la musique.
Nous nous sommes laissés amener par ces mélodies répétitives, par la voix ondulante de la chanteuse, émouvante comme ce clapot tempétueux de l’eau, sur la rivière impuissante, qui se moque des commentaires des touristes à propos de son « parfum »
C’est la magie de Huế, la magie du Vietnam, ce côté précieux et réservé, historique et discret.
Mais je reste très inquiet pour cette magie ! Comment la préserver contre l’invasion intempestive de la pseudo modernité ?
A mesure que je traverse le pays, que je revienne sur Cân Tho, Ho Chi Minh, Hanoi… et Huế !
Huế a su résister à un typhon, aux colères de la nature ! Mais que fera -t-elle face aux multiples pollutions qui menacent le pays de plus en plus ?
Pollution atmosphérique certes, mais aussi pollution sonore, des tonnes de décibels de musique dans la ville qui n’ont rien à avoir avec la discrète Huế, et comme partout ailleurs, pollution visuelle avec des panneaux publicitaires gigantesques tout au long des axes touristiques. Tout cela est-il vraiment indispensable pour le développement du pays ou le bonheur de sa population ?
A Huế, le 31/10/2024
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